mardi 16 novembre 2010

La chasse aux chrétiens

Le christianisme est devenu, de loin, la religion la plus persécutée. Mais l'Occident fait l'autruche


Ce n'est rien. Rien que des chrétiens qu'on égorge. Des communautés religieuses que l'on persécute. Mais où cela ? - Un peu partout. En Inde, au Bangladesh, en Chine, au Vietnam, en Indonésie, en Corée du Nord. Là où ils sont minoritaires. Et surtout en pays musulman. Et pas seulement en Arabie Saoudite où le culte chrétien est puni de mort. Mais en Egypte, en Turquie, en Algérie. Dans le monde actuel, le christianisme est de loin la religion la plus persécutée.
Mais c'est au Proche-Orient, là même où le christianisme a pris naissance, que la situation est la plus grave. En Turquie, les communautés chrétiennes qui sont les plus anciennes, antérieures à l'islam, sont menacées de disparition. En Egypte (coptes), au Liban (maronites en particulier), elles se replient sur elles-mêmes ou émigrent en Occident. En Irak, la guerre a précipité les chrétiens dans le malheur. Près de 2 000 morts, des populations déplacées par centaines de mille, notamment vers le Kurdistan turc, plus accueillant. On ne compte plus, à travers le Proche-Orient, les communautés attaquées, les dignitaires religieux assassinés, les églises brûlées, les interdictions professionnelles, de droit ou de fait, dont sont victimes les chrétiens. Un génocide religieux à la petite semaine.
Ajoutez à cela que les divisions internes sont innombrables et donnent le vertige, rapportées à la faiblesse des effectifs. Sur environ 14 millions de chrétiens d'Orient, environ 5 millions sont catholiques. Les autres, orthodoxes, monophysites, nestoriens, portent la trace de l'immense débat christologique des IVe et Ve siècles de notre ère. Les nestoriens affirment la dualité des personnes dans le Christ : une personne divine, le logos, une personne humaine, Jésus.
En sens inverse, les monophysites affirment que l'humain et le divin constituent dans le Christ une seule nature. C'est le cas des coptes orthodoxes.
Pendant des siècles, les musulmans, venus ensuite mais devenus majoritaires, et les chrétiens ont fait bon ménage. Que se passe-t-il donc depuis cinquante ans ? D'abord, le réveil de l'islam sous une forme agressive et identitaire, comme si le Proche-Orient appartenait exclusivement aux musulmans. Ce sont les Frères musulmans qui mènent les attaques contre les coptes égyptiens : à Nag Hammadi, à 60 kilomètres de Louxor, en Haute-Egypte, une voiture a mitraillé les fidèles qui sortaient de la messe de Noël (6 janvier 2010). Bilan : sept morts. Par un paradoxe qui n'est qu'apparent, la démocratisation des régimes renforce l'intolérance et l'exclusivisme musulmans : les chrétiens d'Irak étaient moins menacés sous la dictature de Saddam Hussein qu'ils ne le sont aujourd'hui. Les despotes étaient le plus souvent héritiers du pluralisme traditionnel. Dans la quasitotalité de ces pays, l'islam est désormais la religion d'Etat. Et le djihad anti-occidental ainsi que l'agression américaine en Irak ont transformé les chrétiens en représentants de l'Occident maudit.
C'est à la lumière d'une disparition prévisible à court terme, si rien n'est fait, que le pape a convoqué un synode des évêques d'Orient (10 au 24 octobre 2010) pour tenter d'attirer l'attention sur ces persécutions et de passer un nouveau pacte pacifique avec les populations musulmanes.
Pendant ce temps, l'Occident fait l'autruche. Pour ma part, ayant passé la plus grande partie de ma vie militante à défendre des populations musulmanes (Tunisie, Algérie, Bosnie, Darfour), j'ai pu constater que, chaque fois qu'il fallait le faire pour des chrétiens (Liban, Sud-Soudan), on voyait, à quelques exceptions près (Bernard-Henri Lévy Bernard Kouchner), les professionnels des droits de l'homme se défiler. Une sorte de Yalta culturel d'un type nouveau est en train de s'instaurer de fait : en Orient, le monopole d'une religion unique de plus en plus intolérante, l'islam. En Occident, le pluralisme, la tolérance et la laïcité. Ce Yalta est, comme l'autre, générateur de guerre froide, pour ne pas dire davantage. Il faut donc, sans arrière-pensée ni faiblesse complaisante, défendre le droit des chrétiens d'Orient à l'existence.

Jacques Julliard "Le Nouvel Observateur"

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