lundi 25 juin 2012

Killian et Souleymane

Killian, 13 ans, battu et étranglé par Souleymane, 16 ans, dans la cour de son collège, jusqu'à ce que mort s'en suive. Ça me rappelle ma jeunesse. J'étais en 5ème, lui en 3ème. J'étais petit à l'époque, et lui plutôt grand. C'était pas sa première 3ème en même temps. Il s'appelait pas Souleymane, mais pas loin. Et dans la cour, un jour, sans prévenir, il m'a pris à la gorge. Il a serré sa main sur ma pomme d'Adam, comme s'il voulait l'écraser. Je commençais à m'étouffer quand un prof est passé. Il n'a rien vu, ce prof, ils ne voient jamais rien, mais mon agresseur a pris peur et m'a relâché, avant de se casser. J'ai eu très mal pendant plusieurs jours, mais j'avais oublié cette anecdote, puisque la nature est bien faite. Mais ce fait divers est venu me la rappeler. Ils parlent d'un motif très futile, "un banal échange de regards". Tout à l'heure un sociologue passait à la télé, un type du CNRS. Il parlait de violence imprévisible, incompréhensible, sans motif apparent. Une violence qui augmenterait partout dans "la jeunesse", selon lui : campagne, centre-ville, banlieue. Une violence indifférenciée en somme, un peu comme "la jeunesse". Mais "fort heureusement", dit-il, "les morts sont rarissimes". Les profs eux "n'ont rien vu venir". Ils ne voient jamais rien. Moi, quand j'avais 12 ans, j'ai pas compris non plus. A cette époque j'en étais au même point qu'un chercheur du CNRS. Je me disais "mais pourquoi tant de haine ?". Puis, avec le temps, j'ai tiré quelques conclusions disons... empiriques. J'ai constaté des éléments qui revenaient sans arrêt. Comme le fait que les agresseurs, dans ces histoires, ont souvent la même tête et que les agressés, aussi. Comme le fait que j'ai souvent vu des Souleymane tabasser des Killian, et jamais le contraire. Ces quelques faits qui, étrangement, attirent rarement l'attention des chercheurs du CNRS, comme des gens qui passent à la télé en général. J'entends maintenant parler d'une altercation qui aurait "mal tourné", comme si parfois ça tournait bien. Une broutille entre "camarades de classe". Camarades... Tant d'autres scènes me reviennent, quand j'y repense. Dans la salle de permanence de mon collège, une bande de Souleymane faisait régner "la terreur". Ils obligeaient les autres, les Killian, à lécher leur table, sous peine de menaces physiques immédiates. Je me souviens avoir refusé, moi. La fin de l'heure a sonné juste après. Les petites racailles sont parties en courant, tandis que j'ai dit aux autres "Mais pourquoi vous leur obéissez ? Dites-leur 'Non', comme moi". On m'a répondu "C'est facile pour toi de dire ça, toi tu rentres chez toi le soir, nous on va les croiser, on habite là avec eux". Il est vrai que je ne vivais pas au sein même de la cité qui entourait l'établissement, mais apparemment assez près pour avoir vu ce qu'il s'y passait, sur des années. "Un banal échange de regards" qu'ils disent. Ces fameux "regards de travers" de la cour de récré, accompagnés quelques années plus tard des "hey t'as pas une garro ?" et autres "prête ton tel faut qu'j'envoie un sms !" de la rue. "Sans raison apparente" qu'ils disent. N'empêche qu'à 12 ans, j'avais une petite gueule d'intello et un teint franchement blanc, comme Killian j'en suis sûr. "Imprévisible, violence globale" qu'ils disent, mais j'avais deviné que l'agresseur ne s'appelait pas Julien, moi, avant que le vrai prénom ne soit publié. "Peu de morts" oui, donc tout va bien... Je ne sais pas si un jour les Killian de France apporteront une réponse à tout ceci et je ne sais pas si, dans le cas où ils le feraient, les chercheurs du CNRS la comprendraient. Ce que je sais en revanche, c'est que si j'ai la folie d'avoir un garçon, celui-ci pratiquera au moins un sport de combat, et que si cet énième fait divers ne change rien, je l'écris quand-même car c'est une fable, cette histoire. Une fable contemporaine. Le 17ème avait "Le corbeau et le renard", nous avons "Killian et Souleymane". http://lesheureslesplusclaires.blogspot.fr/2012/06/killian-et-souleymane.html

samedi 23 juin 2012

La faillite, les voilà ! par Guy Millière

Comme c’était prévisible, Nicolas Sarkozy a été battu. Le suicide en direct de François Bayrou, le seul homme politique capable d’appeler à voter pour un candidat tout en disant que ce candidat est nul, ne l’a pas aidé. Mais rien ne pouvait aider encore Nicolas Sarkozy. Disons qu’il a limité les dégâts : la défaite a été honorable. Comme c’était prévisible aussi, François Hollande a été élu. Comme c’était prévisible, François Hollande a prononcé des discours vides. Et comme c’était prévisible, les foules extatiques ont aimé. PLUS DE MILLIERE EN SUIVANT : François Hollande aime la jeunesse et la justice. Il aurait été étonnant qu’il dise qu’il apprécie la vieillesse et l’injustice. Il aurait pu ajouter qu’il aime la santé davantage que la maladie, le beau temps davantage que la pluie, et, pourquoi pas, que l’eau mouille, que la paix, c’est beau, et que le soleil luit à midi en plein été. Des jeunes filles seraient tombées en pâmoison. François Hollande va composer un gouvernement, et ce gouvernement sera beau comme un discours de François Hollande. Les journalistes des grands médias courbés à ses pieds trouveront ce gouvernement merveilleux. François Hollande sera reçu par les chefs d’Etat et de gouvernement du reste du monde. La réalité fera son retour assez vite, mais les mauvaises nouvelles glisseront sur François Hollande sans l’atteindre. Il est socialiste, donc toute montée du chômage sera attribuée aux forces sournoises du capitalisme qui voudront que François Hollande échoue. Les jeunes gens qui n’ont pas d’emploi et qui ont acclamé François Hollande n’auront toujours pas d’emploi sous François Hollande, mais trouveront que ce n’est pas grave, et que la misère est plus belle dès lors que François Hollande est à l’Elysée. Et puis, des réformes fondamentales seront votées ou promises, et dès lors, des milliers de gens seront prêts à tous les sacrifices : imaginez, le mariage gay, la contraception libre et gratuite pour les mineurs. Elle n’est pas belle, la vie ? Le 16 mai, pour boucler ses fins de mois difficiles, la France devra trouver un milliard d’euros sur les marchés financiers, mais comme François hollande a promis de dompter les marchés financiers, elle les trouvera sans aucun problème, et à un taux d’intérêt très avantageux. Si elle ne les trouve pas ou si les taux d’intérêts montent, François Hollande dira que le monde des riches se ligue contre lui, et les Français accepteront avec joie les restrictions qui leur seront demandées par François Hollande. Ce sera la pénurie exacerbée dans la joie, car, grâce au socialisme, la pénurie est joyeuse, par définition. François Hollande a dit qu’il voulait la croissance et pas la rigueur, et donc il y aura la croissance, et s’il n’y a pas la croissance, ce sera la faute des odieux capitalistes. Car les socialistes ne sont jamais responsables de rien, par définition. François Hollande est certain que les autres dirigeants européens voudront, comme lui, pouvoir dépenser plus, et il ne doute pas qu’Angela Merkel va financer les dépenses de la France, et si Angela Merkel refuse, François Hollande dira qu’elle est odieuse et mérite de perdre les élections en Allemagne. Un récent rapport de la Cour des Comptes annonçait que la France devait procéder à des coupes drastiques dans son budget, ce qui coïncide parfaitement avec les projets dispendieux de François Hollande, mais François Hollande dira qu’il n’a pas besoin de faire des coupes drastiques, qu’il peut financier ses projets en augmentant les impôts des particuliers et des entreprises, et si particuliers et entreprises ne sont pas an rendez-vous, il dira que c’est parce que les particuliers et les entreprises sont méchants, à moins qu’il ne dise que c’est la faute de Nicolas Sarkozy. De toute façon, tout ce qui ira bien s’accomplira grâce à François Hollande, et tout ce qui ira mal sera la faute de Nicolas Sarkozy. Comme assez rapidement rien n’ira bien et que tout ira mal, ce sera, beaucoup, la faute de Nicolas Sarkozy. Voici trente et un an, les partisans de François Mitterrand s’étaient rassemblés place de la Bastille. La France était censé passer de la nuit à la lumière. Deux années plus tard, un slogan servait à définir les socialistes : « la faillite nous voilà », avait tiré ironiquement pour définir le gouvernement Mauroy finissant un quotidien de droite (cela existait encore en ce temps là). Trente et un an plus tard, les enfants de ceux qui ont acclamé François Mitterrand étaient rassemblés à la Bastille pour acclamer François Hollande. Ils ont dans la tête les imbécillités qui étaient déjà dans la tête de leurs parents, et montrent que les imbécillités peuvent se transmettre de génération en génération. Les imbéciles, dit un vieux dicton, ne changent pas d’avis. On peut ajouter au dicton : leurs enfants non plus. La différence avec 1981, c’est que la faillite arrivera beaucoup plus vite. La faillite est quasiment déjà là. Elle n’attendait plus que celui qui viendrait la déclarer : il est là et sera bientôt à l’Elysée. La différence est aussi que ce sera cette fois une faillite aux dimensions de l’Europe. Je l’ai écrit plus haut : elle n’est pas belle, la vie ? Et si vous boudez votre plaisir, je vous parlerai des drapeaux sur la place de la Bastille : en cherchant bien, il devait rester quelques drapeaux français. Un drapeau américain ou israélien aurait été très malvenu. Les drapeaux de quelques régimes islamiques, par contre, étaient à leur place. Les drapeaux de la gay pride étaient tout à fait à leur place eux aussi. C’est superbe, un peuple rassemblé dans l’harmonie et la lucidité. Guy Millière 7 Mai 2012 http://guymilliere.com/ Texte de Guy Millière, Philosophe, économiste, professeur d’histoire des idées et des cultures à Paris VIII